Comment fonctionnerait la Sécurité sociale dans l’Etat-prévoyance ?

L’avènement de l’État-prévoyance passe par une mutation profonde du système de protection sociale. Cette transformation n’a qu’un but : l’effectivité des droits garantis par la Constitution en consolidant la solidarité, d’une part, et ouvrant un espace de liberté, d’autre part.

L’équation est délicate. Ce système doit être non seulement adapté tant aux risques actuels et prévisibles qu’aux attentes paradoxales de la société mais également efficace tout en étant financièrement soutenable.

Les principes directeurs de la refondation du système de protection sociale

Rompant avec l'imaginaire intenable de la corne d'abondance providentielle, l’État-prévoyance cherche à asseoir une solidarité tangible et postule de façon très pragmatique que :

  1. l'effectivité des droits fondamentaux repose sur des mécanismes financiers soutenables, ce qui impose notamment de prohiber les budgets déficitaires ;
  2. la solidarité est un bien commun. Elle ne constitue ni un dû ni un avantage acquis et chacun doit participer à sa conservation et à son développement ;
  3. la solidarité doit être centrée sur l'essentiel pour être réellement universelle. L’État, au nom de la nation, en est le dépositaire. Il doit la structurer, la mettre en mouvement, la respecter et la faire respecter.

Cette quête d'efficience économique globale suppose de déterminer les priorités de la dépense publique. Dans quelles circonstances est-il justifié de faire appel à la solidarité nationale ? Autrement dit, dans quels cas le « tous pour un » est-il légitime ?

La réflexion conduit à distinguer deux types de risques : les risques universels et les risques particuliers.

  1. Les risques universels sont ceux auxquels tous les membres de la collectivité nationale sont potentiellement exposés (maladie et déshérence économique) et qui conduisent ceux qui sont touchés à faire face à des dépenses qui dépassent ce que le commun des mortels peut assumer seul.
  2. Les risques particuliers sont ceux auxquels les personnes sont exposées en raison de leurs choix de vie (type de métier exercé notamment). Ils ne relèvent pas de la solidarité nationale et sont pris en charge dans le cadre de la mutualisation.

Les risques universels sont garantis par l’État, dont c’est le devoir. Les risques particuliers ne relèvent pas de la solidarité nationale, ni de l’État lui-même – dont le rôle sera de déterminer éventuellement le seuil minimal de garantie et d’assurer le contrôle des engagements.

Cette distinction est fondamentale :

  1. Elle puise ses racines dans le programme du Conseil national de la Résistance, lequel consacre la complémentarité de l’État et des acteurs collectifs et individuels. Il s’agit de redonner à la société civile l’espace qui a été progressivement réduit à peau de chagrin par un État expansionniste.
  2. Elle combine universalité et individualisme, permettant de répondre aux injonctions concomitantes et contradictoire d’égalité (« je veux être traité comme mon voisin ») et de différenciation (« mon choix, mon droit ») que la société exprime fortement.
  3. Elle améliore la lisibilité du système, exigence fondamentale en ce qu’elle est une condition de la compréhension et de l’adhésion des citoyens à ce qui ne constitue rien de moins que la clé de voûte du contrat social.

Dès lors le système de protection sociale de l'état prévoyance repose sur deux piliers ainsi structurés.

L’architecture du système de protection sociale de l’État-prévoyance

Le système proposé repose sur deux ensembles dissociés. La Protection sociale solidaire (PSS) est gérée par l’État et financée par l’impôt. Elle couvre les risques universels (la maladie et la pauvreté, aléas auxquels tous les membres de la collectivité nationale sont possiblement exposés). La Protection sociale mutualisée (PSM) est gérée par les organismes de protection sociale et financée par les cotisations sociales. Elle garantit les conséquences économiques des risques personnels.

Chacun de ces piliers répondant à des objectifs différents, il obéit dès lors à des logiques spécifiques et est doté de moyens qui lui sont propres. Ensemble, ces deux piliers autonomes et cohérents constituent la protection sociale telle qu'elle résulte de l'État-prévoyance.

La protection sociale de l'État-prévoyance

La Protection sociale solidaire (PSS). La Protection sociale solidaire garantit les citoyens contre les risques qui pèsent sur tous mais affectent certains : la pauvreté et la maladie. La Protection sociale solidaire dédie un volet à chacun de ces risques, respectivement la Protection universelle risque économique (PURE) et la Protection universelle maladie (PUMA).

La Protection universelle risque économique (PURE) a pour objet d’attribuer les « moyens convenables d’existence » (formule du CNR reprise par la Constitution de 1946) à chacun, y compris pour faire face aux coûts de santé. Elle ouvre droit à l’attribution d’une ressource de solidarité versée à toute personne majeure résidant régulièrement sur le territoire national. Cette ressource de solidarité se substitue à toutes les prestations sociales (y compris les prestations en espèce de maladie, vieillesse et, à due concurrence, aux prestations de chômage).

Elle constitue un minimum intégralement cumulable avec tout revenu dans la limite du revenu médian national, puis dégressive jusqu’à disparaître pour les revenus supérieurs à un plafond de revenu fixé à hauteur du plafond annuel de Sécurité sociale (plafond de référence pour le calcul des cotisations ou le versement de prestations).

[Les chiffres sont indicatifs et permettent d’envisager les ordres de grandeur.]

Son montant est fixé à 600 € par mois. Il est majoré pour les retraités (900 € cumulables avec les revenus, notamment de retraite) ou les personnes en situation de handicap ou de dépendance (1 500€).

Fondamentalement, l’innovation que constitue la Protection universelle risque économique (PURE) poursuit un quadruple objectif.

  1. Favoriser l’adhésion de chacun au système commun par son caractère universel. La PSS est l’expression de la solidarité.
  2. Améliorer la lisibilité du système, condition sine qua non d’efficacité et de sécurité. On retrouve ici l’idée qui sous-tend le projet (toujours dans les cartons des gouvernements successifs) de « revenu universel d’activité ».
  3. Inciter chaque personne à exercer une activité professionnelle. L’affirmation de son principe rompt avec le postulat toxique d’équivalence des revenus du travail et des revenus de remplacement qui gouverne les politiques publiques depuis des décennies.
  4. Créer un climat de confiance, en faisant le pari de la liberté et de la responsabilité.

La Protection universelle maladie (PUMA), dont les contours sont redessinés, permet de faire supporter par la collectivité les dépenses de santé qu’un budget personnel ne peut pas financer en raison de leur montant (une hospitalisation, un traitement coûteux), de la situation particulière des personnes (affection de longue durée, dépendance, personnes démunies car ne recevant que la ressource de solidarité) ou de circonstances (politiques exceptionnelles en cas de pandémie, par exemple).

Le recentrage de l’État sur la Protection sociale solidaire permet de concentrer ses efforts sur les conséquences des aléas de l’existence dont la garantie relève de sa raison d’être, renforçant sa légitimité et son efficacité. Le reste relève de la responsabilité de la société civile qui s’organise à cet effet.

La Protection sociale mutualisée (PSM). La PSM couvre les conséquences que peuvent avoir les aléas physiques, psychologiques ou économiques sur la situation financière propre à chacun, en fonction de sa situation socio-professionnelle. Elle couvre la prévoyance, la santé non solidaire, la retraite et la perte d’activité dans des mécanismes de mutualisation qui reposent obligatoirement sur l’équilibre technique (excluant tout déficit) et donc sur la responsabilité conjointe des opérateurs (les mutuelles, les institutions de prévoyance et les assureurs) et des assurés.

A l’instar de la Protection sociale solidaire (PSS) (qui bénéficie à l'ensemble de la collectivité nationale), la Protection sociale mutualisée (PSM) est généralisée mais elle s'exerce différemment selon les personnes ou les groupes de personnes. La Protection sociale mutualisée (PSM) permet d'appréhender la diversité des situations. Par exemple, face au risque de chômage, salariés, indépendants et fonctionnaires sont placés dans des situations différentes. Les premiers y sont confrontés indépendamment de leur volonté ; les deuxièmes n'y sont pas confrontés par nature car ils supportent le risque économique ; les derniers n'y sont pas non plus exposés, sauf exception.

La diversité des expositions aux différents risques exclus de la solidarité suppose l'organisation de garanties par principe librement choisies par les intéressés. Cela étant, pour certains risques, dans des limites précises, la loi pourra imposer des garanties minimales et le principe de l'obligation d'assurance (de la même façon qu'une automobile ou un logement doivent être obligatoirement assurés).

Fondamentalement, la Protection sociale mutualisée (PSM) ainsi conçue poursuit un quadruple objectif elle aussi.

Cette refondation de la protection sociale permet de clarifier son financement

Le financement de la couverture des risques universels (PSS) repose sur l'impôt (l'effort de tous se bénéfice de ceux qui subiront un accident de la vie). Les cotisations de Sécurité sociale qui financent aujourd'hui des garanties qui relèveront demain de la solidarité disparaissent, allégeant d'autant le coût du travail et dégageant du pouvoir d'achat supplémentaire.

Ce financement pourrait être complété par une contribution des entreprises et ou une TVA sociale dans le cadre d'une vraie forme de la fiscalité tenant compte des évolutions des structures de l'économie. Il importe que les entreprises qui concentrent de la valeur sans recourir à l'emploi participent au financement de la Protection sociale solidaire.

Le financement de la couverture des risques particulier (PSM) repose sur des cotisations sociales évaluées en fonction de la valeur du risque.

Un projet de société

Le système de protection sociale de l’État-prévoyance s’inscrit à rebours de projets récents (hier la « Retraite universelle », avant-hier le « grand service public de l’éducation », demain la « Grande Sécu » ?), caractéristiques de cette tentation de l’État de s’étendre toujours davantage. Cette dynamique est renforcée par le recul du syndicalisme et la pression d’une population angoissée qui demande toujours plus.

Ces projets se sont pourtant heurtés à des résistances fortes exprimées par la société, témoignant d’un dynamisme qui ne demande qu’à s’exprimer. La présente proposition permet de sortir par le haut de ces impasses, en créant un système qui soit le reflet d’un projet de société.

S’appuyer sur le public et le privé, en même temps, permet fondamentalement de distribuer le pouvoir et la régulation dans un cadre de valeurs fixé par le politique et mis en œuvre par l’État et protégeant la démocratie. Miser sur cette coopération du public et du privé favorise la créativité et la réactivité des acteurs.

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