L'État-prévoyance est-il une proposition de droite ou de gauche ?

Cette question nous est souvent posée et nous laisse à chaque fois songeurs… comme si la valeur d’une idée ne devait pas se mesurer à l’efficacité du modèle qu’elle ose avancer, mais plutôt à son raccroc à des « références » dites « de gauche ou de droite ».

« Ni droite, ni gauche »

Notre premier réflexe est de répondre « ni-ni ». La proposition n’est « ni de droite, ni de gauche » pour la simple raison que le think-tank qui l’a forgée n’est lié à aucune formation politique, ni dans sa composition, ni par son financement. Les fondateurs ont décidé de s’atteler à la résolution d’un problème – celui de l’essoufflement de notre modèle social - lequel est constaté par la majorité des représentants politiques, tous bords confondus.

Cette réponse est certainement un peu courte, nous en convenons ! La proposition formulée repose sur certains partis pris, lesquels peuvent coïncider avec ceux qui sont défendus de tel ou tel côté de l’échiquier politique.

« De droite et de gauche »

Mais alors analysé sous cet angle, l’État-prévoyance est tout autant « de gauche et de droite » (hors extrêmes).

« De gauche »  car il accorde une large place à la solidarité. Il va même très loin en souhaitant restaurer cette solidarité de façon tangible, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui. Ce principe (et ses déclinaisons : « la répartition », « la santé n’a pas de prix », « l’universalisme », etc.) est actuellement mobilisé pour masquer les failles d’un système à la dérive. Il est inique de brandir le concept pour s’opposer à toute réforme d’un système qui tient par l’endettement (pillage en règle des générations futures) et qui laisse sur le bord de la route une partie des citoyens (fractures sociales).

A cette dérive qui menace jusqu’à l’idée même de solidarité, nous souhaitons opposer une vision rigoureuse et concrète du concept. La solidarité n’est pas la charité, elle n’est pas sans limite. La solidarité est une forme de don, par un dû. La solidarité doit être réelle, ce qui signifie qu’aux engagements pris par la Nation doivent correspondre des mécanismes juridiques et financiers qui en permettent une réelle exécution.

Dans notre proposition, la solidarité couvre ainsi la santé et la protection économique. Concrètement, l’État protège, au nom de la collectivité nationale, ceux qui subissent un aléa de l’existence qui les dépassent. S’agissant de la protection économique, nous allons jusqu’à imaginer que celle-ci prenne la forme d’une ressource universelle, versée à toute personne majeure résidant régulièrement sur le territoire national et cumulable avec les revenus du travail.

Si la solidarité occupe une place si importante dans notre proposition c’est que nous sommes convaincus que sans un minimum de solidarité, aucune vie collective n’est envisageable.

Mais la proposition peut aussi apparaître comme étant « de droite » en ce qu’elle vise à renforcer l’autonomie de chacun, et la responsabilité qui en constitue la contrepartie.

Chaque personne est ainsi incitée à travailler pour améliorer sa protection et libre de déterminer le niveau de cette protection en fonction de ses choix de vie, sous le regard de l’État qui en fixe les grandes lignes en même temps que les protections planchers. Cette « couche de protection », diversifiée et choisie, permettrait de tenir compte du désir, très fortement exprimé par les membres de la société, de voir leurs besoins et souhaits singuliers pris en considération.

Peu importent le « ni-ni » ou le « en même temps », seule compte la vision

L’État-prévoyance ainsi conçu ne l’a pas été comme un compromis entre des axiomes prétendument ancrés à telle ou telle place sur l’échiquier politique. Pour élaborer cette proposition, nous nous sommes interrogés sur l’objectif qui doit être assigné à un modèle social et ce, au regard non seulement des moyens possibles pour ce faire mais aussi des mutations – présentes et futures – de la société.

Si la finalité de l’État-providence est avant tout de servir le bien-être des citoyens, celle de l’État-prévoyance est également d’anticiper autant que possibles les principaux risques qui pèsent sur l’existence et la liberté de chacun. Dès lors, il vise à mettre en place les moyens de les garantir, le tout dans un monde heurté et contraint. C’est dans cette perspective que l’architecture du modèle que nous proposons a été esquissée.

Elle ne fait pas table rase du passé, bien au contraire ! Ancrée dans l’histoire du pays, elle tient compte de nos spécificités (dont l’attachement à la puissance publique) tout en tirant les conclusions des échecs (le tout-État ne permet pas de « faire société »).

Résister à la tentation de l’étiquetage pour permettre d’engager la réflexion

Quoiqu’il en soit, étiqueter une idée ou une proposition avant toute analyse constitue une tentation aussi forte que réductrice et stérile à terme.

Alors que les frontières censées faire la séparation « gauche-droite » sont souvent floues, l’Histoire facétieuse montre qu’elles sont également mouvantes. Il n’est pas rare qu’une opinion défendue un temps par un bord politique le soit par le bord opposé quelques décennies plus tard. Par exemple, jusqu’à la fin du siècle XIXème siècle, la notion d’État-providence revêtait une connotation péjorative et, à ce titre, était dénoncée non seulement par les républicains et les libéraux, mais aussi par les conservateurs et les ouvriers au motif que son instauration dissuaderait les citoyens de prendre leur vie en main ou distrairait les ouvriers de leurs revendications.

En outre, les difficultés contemporaines étant particulièrement complexes, les propositions qui s’y rapportent le sont également, échappant de facto à une classification binaire.

Enfin, et surtout, cette approche clôt le débat avant même qu’il ait lieu… ce qui est particulièrement dommageable dans une période où l’on a particulièrement besoin de dépasser les clivages et de faire émerger de nouveaux paradigmes.

Alors de grâce laissons tomber les « droite et/ou gauche » et intéressons-nous au cœur du sujet !

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