Les chiffres clés de l'État-providence
S’interroger sur le coût de l’État-providence n’est pas politiquement correct. En France, c’est même souvent perçu comme une provocation.
Et pourtant, il est absolument légitime et indispensable de mesurer et de s’interroger sur le coût du modèle social pour au moins trois raisons. D’abord pour apprécier le volume des ressources qui lui sont consacrées, rapporté à ceux qui sont alloués à d’autres enjeux (par exemple la sécurité ou les investissements). Cette analyse éclaire sur ce que sont les priorités d’un pays. Ensuite, il est toujours bon d’observer les choix opérés par des pays voisins ou comparables, tant pour des besoins de coopération que de concurrence entre États. Enfin, il est légitime et sain de contrôler l’efficacité des politiques publiques, a fortiori lorsque les sommes engagées sont conséquentes.
Les conditions de financement de notre modèle social sont très largement documentées et commentées et il n’est pas dans notre intention de présenter ici les comptes sociaux de façon exhaustive. Tout citoyen curieux de l’utilisation de ses deniers pourra librement consulter les informations mises à disposition par de très nombreux organismes et institutions publics (Insee, Dares, Drees, Cour des comptes, Haut conseil du financement de la protection sociale, Assemblée nationale et Sénat, Eurostat, OCDE…) ou privés (Fipeco, OFCE, think-tanks…). Sans compter les nombreux ouvrages et articles régulièrement publiés dans les différents médias ou revues.
Le revers de la médaille est qu’il est relativement difficile de s’y retrouver. Les masses financières en jeu sont d’une ampleur difficile à appréhender (on y compte en dizaines, voire en centaines, de milliards d’euros). En outre, les options de présentation de ces informations chiffrées peuvent parfois prêter à confusion, sinon à controverse. Nous renverrons ici, par exemple, aux débats qui agitent les experts quant à l’évaluation et la présentation du déficit des retraites.
L’ambition de cet article est plus modeste. S’appuyant sur une sélection de chiffres significatifs, il vise à donner au lecteur une vision d’ensemble, comme s’il effectuait une promenade en avion au-dessus d’un territoire, de façon qu’il puisse prendre la mesure de ce que représente l’État-providence dans notre économie, d’appréhender la dynamique dans laquelle il s’inscrit… et d’apercevoir le mur (ou le précipice) qui surgit devant nous.
Quelle part de la richesse créée par le pays consacrons-nous au financement de notre modèle social ?
57% du PIB finance les dépenses publiques.
La France consacre près des 2/3 de sa richesse nationale (2 600 milliards d’euros en 2023) au financement de ses dépenses publiques. Ce poids des dépenses publiques en % du PIB est plus élevé que dans les autres pays de l’UE.
32,9 % du PIB finance des dépenses sociales.
La France consacre 1/3 de son PIB aux dépenses de protection sociale (retraite, santé, famille, chômage, exclusion sociale, aides personnelles au logement…), soit plus de 850 milliards d’euros. Cette part est de 27 % dans les pays de l’UE et de 20 % dans la moyenne des pays de l’OCDE.
14,5 % du PIB sont affectés aux dépenses de retraite.
Près de la moitié de ces dépenses financent les retraites. C’est la plus importante source d’écart entre les dépenses publiques en France et dans la moyenne de l’UE. Le financement des dépenses de santé et maternité s’établit autour de 12,2 milliards.
« La répartition des dépenses par politique publique en pourcentage du total des dépenses publiques montre que la France a donné une priorité plus grande que la moyenne des pays de l’UE aux retraites, au logement, au chômage. Cette priorisation, par rapport à celle des autres pays, s’est faite au détriment de l’enseignement, de la recherche, des transports, de la sécurité intérieure et des fonctions support »
➡ Notre pays consacre une large part de ses ressources aux dépenses publiques dont la dépense sociale et, en particulier, les retraites.
Comment le modèle social est-il financé ?
360 milliards d'€ de prélèvements sociaux sur les particuliers
475 milliards d'€ de prélèvements sociaux sur les entreprises
Là encore la France se distingue. Le pays finance le modèle social via des prélèvements sur le travail, lesquels sont plus importants que la moyenne de ses concurrents. Le coût de l’État-providence est ainsi principalement à la charge des actifs, lesquels voient leur pouvoir d’achat significativement amputé, et des entreprises dont la compétitivité se trouve ainsi obérée. Pour compenser cette charge, l’État accorde aux entreprises des aides diverses à hauteur de 160 milliards d’euros – ou comment redonner d’une main (une partie seulement) de ce qui a été pris de l’autre, ce qui nuit à la lisibilité du système.
5,5 % du PIB de déficit en 2024
3,5 % du PIB de déficit correspondant aux dépenses sociales.
En dépit de leur montant, ces prélèvements sociaux obligatoires ne couvrent pas les dépenses.
Le déficit de la France s’établit autour de 5,5 % du PIB en 2024. Dans ce déficit, près des 2/3 correspondent à des dépenses sociales non financées. Or, si un déficit peut être légitime s’agissant de dépenses d’investissement, les dépenses sociales, par construction, devraient être équilibrées. En dérogeant à cette règle, la France décide de faire peser sur les générations futures le poids d’un modèle social qui bénéficie par ailleurs largement aux personnes âgées.
➡ La France s’endette pour combler son déficit social.
Les dépenses sociales sont-elles stables ou maîtrisées ?
Les dépenses des administrations publiques (masse salariale, investissements, achats courants de biens et services) restent stables, voire diminuent.

Source : FIPECO
➡ La croissance des dépenses publiques résulte principalement de la croissance des dépenses sociales.
Quelles sont les perspectives ?
Lorsqu’on se tourne maintenant vers les prochaines décennies, les perspectives sont vertigineuses.
D’un côté, le ratio cotisants / retraités ne cesse de se dégrader (1,59 en 2022). L’espérance de vie augmente d’un trimestre par an (en 2024, elle est de 85,6 ans pour les femmes et 80 ans pour les hommes) et l’âge moyen de départ en retraite (63,4 ans en 2023, selon L’Assurance retraite : les chiffres 2023) progresse lentement (il était de 60 ans et 6 mois en 2010).
Si l’espérance de vie augmente, celle de l’espérance de vie en bonne santé est stable depuis dix ans (à 65 ans, l’espérance de vie sans incapacité est de 12 ans pour les femmes et de 10,5 ans pour les hommes en 2023, selon la DREES) : concrètement, le nombre de retraités va s’accroître (plus de 15 millions de retraités au régime général, soit une augmentation de 46,5 % en 20 ans, cf. l'abrégé statistique du système général 2022), tout comme le nombre de personnes âgées en situation d’une perte d’autonomie. Les dépenses de retraite se doubleront de dépenses de santé et de prise en charge de la dépendance.
Les dépenses de santé vont croître considérablement, non seulement en raison de ce vieillissement de la population, mais également et surtout du fait du coût de la santé (l’innovation en santé est chère : si les traitements et soins sont de plus en plus efficaces, ils sont également de plus en plus coûteux, etc.).
De l’autre côté, la natalité diminue (1,62 enfant par femme en 2024). Le nombre d’actifs n’augmente que légèrement. La productivité stagne. La France ayant fait le choix d’une économie dite « tertiarisée » (au détriment de son industrie), une part importante du travail est peu qualifié et les rémunérations moyennes restent faibles (smicardisation d’une partie de la population), limitant d’autant l’assiette des prélèvements.
➡ A court terme, le modèle sera victime d’un inéluctable effet de ciseau.
Ces chiffres illustrent l’ampleur de l’État-providence et sa dérive. A l'inverse, l’État-prévoyance a été conçu à volume financier constant. La différence fondamentale entre le modèle que nous connaissons et celui qui est envisagé réside dans la possibilité de piloter financièrement le second.
L’État-prévoyance repose sur une clarification des rôles, respectivement de la puissance publique et des acteurs privés : l’État ne peut pas tout faire, l’État ne doit pas tout faire, l’État doit faire bien ce qui relève de sa fonction.
L’État-prévoyance suppose la mise en place de mécanismes financiers garantissant que les engagements pris tant par l’État que par les acteurs privés soient financièrement couverts : à toute dépense doit correspondre une recette, les déficits sociaux sont interdits.