Qu’est-ce que l’État-providence ?
L’État-providence est le nom que nous donnons au modèle social français. Il désigne l’ensemble des interventions économiques et sociales de l’État au service du bien-être des citoyens. En France, ces interventions sont d’une ampleur inégalée et largement mises en œuvre par la puissance publique, laquelle domine largement la sphère sociale.
La politique du « quoi qu’il en coûte », mise en œuvre pendant la pandémie de Covid-19, exprime remarquablement cette définition du rôle de l’État, particulière à la France. L’association des termes « État » et « providence » traduit autant qu’elle ancre profondément dans les esprits l’idée selon laquelle la générosité publique est infinie. Cette ambition se heurte violemment à la réalité économique et sociale. L’État-providence est en crise.
Un drôle de nom pour un modèle social
La formule « État-providence » est aujourd’hui courante. Elle est a priori comprise par les citoyens qui, s’ils ne savent pas le définir avec exactitude, en connaissent les principales manifestations, soit qu’ils en bénéficient, soit qu’ils contribuent à leur financement par leur travail.
La notion de « providence » surprend. Reprenons la définition qui en est donnée par le dictionnaire Larousse :
« 1. Action par laquelle Dieu conduit les événements et les créatures vers la fin qu'il leur a assignée. 2. Dieu, en tant qu'ordonnateur de toutes choses. (Avec une majuscule.) 3. Personne ou événement qui arrive à point nommé pour sauver une situation ou qui constitue une chance, un secours exceptionnel. 4. En apposition à un nom, indique sa valeur providentielle : État providence. »
Cette association de termes vient sacraliser l’intervention de l’État. La France est laïque, mais elle s’est dotée d’un dieu qui s’appelle l’État. Évoquant l’expression « la providence y pourvoira », la formule place dans un rôle passif ceux qui bénéficient de sa commisération. Elle postule implicitement qu’elle est sans limite, comme l’est la bonté divine dont elle est l’expression.
Aux origines de l’État-providence
Le père de cette jolie formule serait Alphonse de Lamartine. On en trouve trace ensuite dans les relevés de débats parlementaires (déclaration du député Émile Ollivier), dans un contexte opposant ceux qui, défendant les droits du pauvre, prônaient la prise en charge collective des risques sociaux à ceux qui, misant sur la « bonne conscience » du riche, défendait le choix de la charité et de la bienfaisance au nom du respect des libertés fondamentales.
Elle apparaît ensuite sous la plume d’Émile de Girardin, fondateur du journal La Presse, en ces termes :
« A la question ‘’Du point de vue du bien-être universel, que doit être l’État ?’’, il répond : ‘’L’État doit [devenir] la providence terrestre de tous.‘’ ».
Alexis de Tocqueville dénonçait alors
« l’ambition de l’État à devenir la providence du peuple », « le gouvernement ayant pris la place de la Providence, il est naturel que chacun l’invoque dans ses nécessités particulières. On lui reproche jusqu’à l’intempérie des saisons. »
Claude Frédéric Bastiat, alors député, abondait :
« Je ne demande pas mieux, soyez-en sûrs, que vous ayez vraiment découvert, en dehors de nous, un être bienfaisant et inépuisable, s’appelant l’ÉTAT, qui ait du pain pour toutes les bouches, du travail pour tous les bras, des capitaux pour toutes les entreprises, du crédit pour tous les projets. »
Les leaders socialistes de l’époque partageaient les réserves des libéraux au motif que « la théorie de l’État-providence, de l’État dispensateur de tous les biens et de tous les maux », risquait de conduire les ouvriers à négliger leurs revendications.
Au XIXème siècle, la notion d’État-providence revêtait ainsi une connotation négative, avant de disparaître puis de resurgir à partir des années 70 où elle se substituera progressivement au terme de « Sécurité sociale » qui dominait depuis la création de cette dernière.
Cette résurgence s’opère au moment où le modèle social créé en 1945 commence à se fissurer.
De quoi la providence est-elle le nom ?
Au fur et à mesure que le pays s’englue dans une crise sans fin, l’État providentiel est chargé de remédier à l’ensemble des problèmes sociaux, anciens et nouveaux, générés pas la crise économique et sociale qui touche de façon durable maintenant le pays.
Cette relation particulière à l’État, sinon cette façon de l’idolâtrer, est proprement française. Là encore, c’est dans l’Histoire qu’on en retrouve les racines. Les mots du député Ollivier ont été prononcés à l’occasion d’une loi supprimant le délit de coalition (les fameuses lois dites « Le Chapelier »). La suppression des corps intermédiaires qui en a résulté laisse les individus seuls face à l’État, devenu leur providence. Pour le dire crûment, dans l’Histoire et dans l’inconscient national, l’intérêt général c’est l’État, rien que l’État. Quelle formule meilleure que celle de l’État-providence permettrait de sanctuariser cette domination ?
Dénoncée plus ou moins vigoureusement depuis deux siècles, cette idée s’est durablement ancrée dans nos esprits de sorte qu’elle semble façonner nos habitudes, notre économie et plus généralement notre rapport au monde.
Tout est dit dans cette expression qui, à elle seule, résume les causes et les conséquences de la situation que nous constatons. L’État social à la française se singularise par l’omniprésence de l’État. Ce surdimensionnement de l’action étatique s’est progressivement imposé, sans d’ailleurs que cette évolution ait été réellement pilotée, expliquée ou débattue.
On a presque oublié que la Sécurité sociale créée en 1945 était fondée sur un partage des rôles [renvoi fiche histoire] entre les représentants des cotisants et la puissance publique, celle-ci n’ayant qu’un rôle d’arbitre. Le champ des interventions économiques et sociales est désormais pleinement investi par l’État. La place des acteurs privés est réduite à peau de chagrin et encore, lorsqu’elle ne leur est pas contestée. Le rêve des Révolutionnaires est aujourd’hui réalité.
Cet État-providence hypertrophié présente aujourd’hui trois caractéristiques qui puisent leurs racines dans cette histoire :
- la prépondérance de l’État,
- le « bien-être » du citoyen comme moteur de ses interventions économiques,
- la domination de la loi.
Le tout-État ne permet pas de faire société. La société civile doit retrouver un espace pour exister. Dit autrement, ce n’est pas l’État qui doit être providentiel mais la société.
La crise de l’État-providence
Dans les années 70, les observateurs s’inquiètent de la soutenabilité du modèle. Dans les années 60, les dépenses de santé ont crû plus fortement que ce que les concepteurs de la Sécurité sociale avaient anticipé (l’innovation en santé coûte cher). Les chocs pétroliers conduisent à un brusque ralentissement de l’économie mondiale. La France connaît la première crise économique d’une série ininterrompue depuis.
En 1981, Pierre Rosanvallon tire la sonnette d’alarme. Il observe que le modèle social subit une crise financière, une crise d’efficacité et une crise de légitimité. Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader. Pris dans l’étau de besoins croissants et de raréfaction des ressources, les gouvernements successifs ont multiplié les réformes, souvent paramétriques, pour maintenir le modèle. Celles-ci ont progressivement, et subrepticement, étatisé et universalisé le modèle sans parvenir à résoudre les difficultés. La triple crise diagnostiquée en 1980 s’est considérablement aggravée. L’État-providence est aujourd’hui dans l’impasse.
C’est pourquoi nous proposons aujourd’hui un déplacement vers un autre modèle, nommé État-prévoyance, qui rééquilibre le rapport de forces entre société civile et État. L’État-prévoyance est un modèle soutenable, solidaire, responsable, qui redonne de l’autonomie et de la marge de manœuvre aux acteurs publics et privés. Nous vous laissons le découvrir plus en détail dans cet article.